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Naufrage des Pourris-Gâtés (Triangle of Sadness, 2022)

Article à retrouver sur https://www.s-quive.com/


Le nouveau film de Ruben Östlund, lauréat de la Palme d’or du Festival de Cannes 2022, provoque un véritable ras-de-marée médiatique depuis sa sortie en salles mercredi dernier. Décryptage d’une satire décapante et trash de tout un « beau petit monde » (apparemment) condamné à son irréversible noyade.


Le rideau feutré de la Fashion Week est tombé sur le devant de notre belle capitale ce mardi 4 octobre. Nous retiendrons surement cette image poétique d’un corps, celui du mannequin Bella Hadid, peint au spray jusqu’à ce qu’esquisse d’une robe ne se fasse deviner, au défilé Coperni. Le film « Sans Filtre » s’ouvre, lui aussi, sur une scène de défilé, auquel participe un couple de mannequins – « Attendez… on vous demande de marcher et de sourire ? Ce n’est pas trop dur ? ». Le ton est donné. En effet, ce n’est pas sans grande surprise que de constater que le réalisateur danois érigera, en 2h20, une peinture bien plus féroce du monde de la mode et de l’influence.



Allouons tout d’abord à « Sans Filtre » (ou à son titre international - « Triangle of Sadness »), sa triste ritournelle de superficialité(s), rondement menée par des personnages aussi creux les uns que les autres, et cette jolie pièce montée de péchés capitaux (capitalistes selon Ruben Östlund). Pour en couper quelques tranches ; un capitaine de yacht de luxe (joué par le toujours très bon Woody Harrelson) commande un hamburger-frites au dîner parce qu’il « n’est pas fan de la gastronomie ». Une mannequin exécrable se la joue « Emily Ratakowsky », fait mine de poser devant un plat de pâtes, avant d’avouer qu’elle est en fait intolérante au gluten. Ou enfin, une sexagénaire décolorée se persuade, dans un monologue affligeant - un verre de champagne à la main et le corps englouti sous les bulles d’un jacuzzi chauffé, que nous « sommes tous égaux ».


« Oui…Oui, bien-sûr », acquiesce timidement une jeune hôtesse – qui, à l’image de la télé-réalité américaine « Below Deck » (2013 – 2022), a la triste consigne de pas contredire les passagers, sous peine de se voir refuser un généreux pourboire à la fin du voyage. Cerise sur le gâteau, les personnages de Yaya (Charlbi Dean) et de Carl (Harris Dickinson) sont d’autant plus fascinants qu’ils portent le poids de tous les défauts de notre société individualiste. Pétris de frustrations obsessives, d’affirmations autocentrées, et prisonniers de l’usage excessif qu’ils font de leurs smartphones, ils sont tous deux engouffrés dans un mutisme consensuel que seule la jalousie parvient parfois à briser.


Alors, lorsque toute cette ribambelle de riches désabusés embarque à bord d’une croisière de tous les excès, et qu’une tempête nocturne vient faire trembler les assiettes de caviar jusqu’à ce que l’image elle-même, nous donne envie de régurgiter notre diner de la veille… le début de la déchéance est annoncée. Se prélassant dans une opulence démesurée, « Sans Filtre » a des faux-airs d’un fameux diner de littérature, le-dit « festin de Gervaise », décrit avec ce même réalisme cru dans l’Assommoir. Tout comme dans l’œuvre d’Émile Zola, c’est dans des moments sous-tendus de tensions sociales, que les propos débordent, que les verres se renversent et que les cœurs remontent aux lèvres.



« La bouche ouverte, le menton barbouillé de graisse, ils avaient des faces pareilles à des derrières, et si rouges, qu’on aurait dit des derrières de gens riches, crevant de prospérité »



Émile Zola, L’assommoir.


Kaufmann, Paul. 1902. «Le repas de noces».

Bien loin de se complaire dans ce prétendu « rythme de croisière », « Sans Filtre », ne dorlote pas ses spectateurs. Alors que les plus sensibles (et émétophobes) s’abstiendront tout simplement de s’aventurer sur le yacht, d’autres se prendront au jeu de cette cynique comédie – embaumée par une délicieuse… puis écœurante, effluve d’Absurdité. Ainsi, bien que succédant à deux premières parties parfois jouissives dans leur démonstration de la bêtise humaine, la troisième se perdra dans ses longueurs et des propos de plus en plus confus, voir superflus. Excessif à bien des égards – le film ne laisse pas de marbre, mais perdra tout de même, au fil de ses trois tableaux narratifs, un peu de sa subtilité originelle, tant ses personnages s’engonceront dans des archétypes caricaturaux dénués d’émotions et de profondeur.


Reste à reconnaitre cependant à « Sans Filtre » et à son talentueux réalisateur (déjà récompensé pour le tout aussi dérangeant « Square », en 2017) une certaine facilité à choquer, à s’emparer et à étirer jusqu’au grotesque malaise, les maladies modernes de notre société.


Ruben Östlund entouré de ses acteurs sur le tournage de "Sans Filtre" (2022)

« Sans Filtre, Triangle of Sadness », est actuellement en salles de cinéma.




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