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Pulsions meurtrières au cinéma (Mood Swings #1)

Dernière mise à jour : 11 mars 2021

Depuis petite, la limite entre la passion et l'obsession a toujours été fine dans ce que j'aimais au cinéma. D'où, peut être, mon amour (enfin, c'est peut être un mot trop fort, disons plutôt intérêt) récent, pour les films d'enquêtes, les films de tueurs en série, où (presque) tous se font dépasser par leurs dites passions. Voici donc, un petit "billet d'humeur" sur l'évolution de la figure meurtrière et psychopathe au cinéma, ainsi qu'une réflexion sur les origines de notre fascination pour ces individus.


Etais-ce réellement si pervers de s'intéresser à eux ? Pourquoi de tels prédateurs intéressent-ils autant la société ? Quelle est la frontière entre la fascination et l'obsession lorsque nous dressons leurs profil ?


Le tueur "dérangé": incarnation classique du Mal à l'écran


À l'origine, le tueur au cinéma n'était représenté que : sous les traits de monstres bien éloignés de la nature humaine (Nosferatu le vampire en 1922, Frankenstein en 1931), ou sous ceux d'un personnage masculin détraqué qui, se faisait dépasser par ses pulsions meurtrières. Ces dernières étaient, en grandes parties expliquées, voire excusées, par toutes sortes de maladies psychologiques ou déformations corporelles -- dites biologiques.


Dans Psychose (d'Alfred Hitchcock, sorti en 1960), Norman Bates, jeune homme solitaire, est le propriétaire d'une vieille demeure et d'un motel aussi paumé qu'inhospitalier dans lequel des femmes disparaissent à la tombée de la nuit. Même si le film, bien que grandement innovateur pour l'époque, ne m'avait pas spécialement tenue en haleine, peut être à cause d'une musique un peu trop stridente et des scènes de meurtre un poil trop caricaturales (surtout celle dans l'escalier), la scène de fin m'avait glacée le sang.


Assis face caméra, l'acteur Anthony Perkins prouve dans la scène finale, que son personnage, atteint de sévère schizophrénie, est un des psychopathes les plus marquants du cinéma : https://www.youtube.com/watch?v=dYDxxHrlmUg


Cependant, lorsque le magazine Society demande à Stephane Bourgoin, spécialiste français du profilage criminel, s'il existe une explication rationelle aux "folies" des tueurs en série, il répond ceci, muni de quelques chiffres issus de ces observations :


Ce n’est pas une folie. Ils sont reconnus à 98% responsables de leurs actes. Ils savent différencier le bien du mal. Ils ne sont ni schizophrènes ni malades mentaux. Ils n’entendent pas des voix.


Ainsi, nous ne pouvons pas dire que tous les meurtriers sont nécessairement des psychopathes à l'image de Norman Bates, puisqu'une écrasante majorité semble lucide au moment de la commission d'actes criminels. Même si une infime (ou infâme) minorité des psychopathes sont, en effet, des tueurs en série, il convient de reconnaître qu'à ce jour, la figure du tueur (en série, de masse) est en réalité bien plus complexe. Et ceci ce retranscrit dans le cinéma de la deuxième moitié du XXe siècle.


Le tueur "intelligent": incarnation moderne du Mal à l'écran


Hannibal Lecter dans le Silence des Agneaux (1991)

Un tournant dans la représentation du tueur en série fut sans doute marqué par Le Silence des Agneaux, thriller policier culte de 1991. Pour la première fois à l'écran, on voit un homme qui semble en pleine possession de ses moyens, très calme derrière sa vitre de cellule de prison lorsque l'agente Clarice Starling (Jodie Foster) vient s'entretenir avec lui.


Pragmatique, réfléchi, courtois, doté d'une grande culture, Hannibal Lecter hanta et hante encore les esprits, nourrissant aujourd'hui toute une thématique.


Personnage emblématique de littérature (né sous la plume de Thomas Harris en 1981 ), puis de cinéma, Hannibal Lecter (Anthony Hopkins dans Le Silence des Agneaux, et Mads Mikkelsen dans la série récente Hannibal) est un tueur en série cannibale dénué de tout remords, expert en manipulation mentale (et en humour noir) !

David Mills (Brad Pitt) sur les lieux du crime dans Seven (1995)

Dans le même registre de tueurs en série aussi sociopathes qu'intelligents, "John Doe" joué par Kevin Spacey dans le génial Seven (réalisé par David Fincher en 1995), commet des meurtres avec un certain sens du détail et du spectacle, s'inspirant méthodiquement des 7 péchés capitaux (luxure, paresse, gourmandise, orgueil, avarice, envie et colère). Rusé, impassible, se jouant des deux détectives à ses trousses (Brad Pitt et Morgan Freeman) comme du téléspectateur, celui ci avoue à la fin du film, peu de temps après THE scène culte du "WHAT'S IN THE BOOOoox ?", vouloir plaider la folie devant le juge afin d'obtenir une irresponsabilité pénale sur ces actes prémédités, et de ce fait, une moindre peine. Hmmmm... si la manipulation de la justice était un péché capital, J.Doe n'aurait pas fait long feu non plus...



Quelques années plus tard, David Fincher réalise un nouveau thriller policier (moins réussi je trouve), dédié au célèbre tueur du Zodiac (2007), dont la mécanique s'apparente à celle de Memories of Murder, du coréen oscarisé Bong Joon-ho. Ces deux histoires s'inspirent de faits réels: les tueurs respectifs, se jouant de la presse et des unités policières, laissent délibérément des indices derrière eux, mais ne seront jamais réellement capturés (update: très récemment, en mars 2019, le tueur coréen a avoué avoir commis les meurtres dont il était suspecté à Hwaseong entre 1986 et 1991).



Si nous en revenons à Hannibal Lecter, on remarque qu'il a un point commun avec notre charmant Norman Bates: il tue derrière un masque de chair humaine, en référence à son enfance malheureuse et à une mère abusive, intrusive, incestueuse. On y est. En effet, selon les observations de Stephane Bourgoin :


Les tueurs en série ont généralement des fantasmes de vengeance en rapport aux maltraitances, abus qu’ils ont subis durant leur enfance. Moins de 95% d’entre eux ont eu une enfance abominable.


Ainsi s'ajoute à la maladie mentale biologique (présente dès la naissance), une autre dimension de compréhension de la personnalité du tueur en série; celle de sa construction psychique et des traumatismes de son passé. Dès les premiers épisodes de Mindhunter (--voir l'article !) se formule ainsi l'interrogation centrale de la série: le Mal est-il inné ou provoqué ?


S'intéresser aux tueurs en série : fascination ou obsession ?


Lorsqu'on demande à S. Bourgoin d’où lui vient cette passion pour les psychopathes, il répond:

"Je ne suis pas obsédé par ces gens-là mais plutôt fasciné."


Mais ducoup, c'est quoi la limite entre fascination et obsession lorsqu'on s'intéresse de plus près à la criminologie, et au profilage criminel ? Pourquoi sommes nous autant passionnés par ces films et ces documentaires policiers, toujours de plus en plus sombres et torturés ?


Jodie Foster, hantée par le visage d'Hannibal Lecter dans le Silence des Agneaux (1991)

Une façon ironique de répondre à cette question, serait d'adhérer à une théorie un peu bancale, selon laquelle; plus on est sympa et "bien dans sa peau", plus on aime les films à suspens, ceux où les policiers étalent leurs talents de détective (Sherlock, Elementary, Mentalist, etc.) et où les bonnes valeurs de la société s'effacent derrière la violence et les écoulements de sang. Une histoire sarcastique de contre-balance des moeurs, en quelque sorte. Mais bien sur, ce serait trop simple, et bien trop prétentieux...


À l'extrême, comment et pourquoi certaines femmes, tellement fascinées par ces tueurs, en viennent à s'éprendre d'eux, non pas en dépit de leurs crimes mais à cause d'eux ? Par exemple, Carole Ann Boone, maîtresse de Ted Bundy, tomba enceinte de ce dernier alors qu'il était dans le couloir de la mort... Oui, CE Theodore Bundy, un des tueurs en série les plus célèbres des États-Unis, coupable d'une quarantaine de meurtres et de viols sur des jeunes femmes dans les années 1970. Beau-parleur, ancien étudiant en droit, Bundy se jouait de son audience comme de ses interlocuteurs, transformant habilement ses procès en cirques de réthorique grâce à une aisance déconcertante (voir à ce sujet: le documentaire The Ted Bundy Tapes, et le film Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile, tous les deux sur Netflix). Lors de ceux-ci, des femmes se bousculaient pour le voir débattre, argumenter, et charmer son audience.


Photo 1: Le tueur en série Ted Bundy lors de son procès en 1979.

Photo 2: Zac Efron dans la peau de Ted Bundy dans Extremely Wicked, Shockingly Evil and Vile (2019)


D'autres personnalités, en revanche, refusent de reconnaître cette passion générale -- et parfois extrême, pour ces individus, certains déplorant n'avoir "jamais éprouvé la moindre fascination pour ces criminels extrêmes et avoir souvent regretté la curiosité médiatique et l’exploitation indécente et vulgaire qui s’attachaient à eux" (Philippe Bilger, pour le Boulevard Voltaire).


Conclusion


Cependant, et c'est sans doute ça, qui fait que toi, lecteur, et moi-même, sommes autant fascinés par de telles personnalités: les tueurs en série sont aussi intéressants car ils sont passionnants de complexité. À l'image d'un Ed Kemper, impressionnant par sa taille, son poids (2,06 m et 135 kg) et par un QI supérieur à celui d'Einstein, mais qui a tout de même commencé sa série de meurtres avec celui de ses grands-parents à l'âge de 14 ans. Ce personnage fut le premier tueur en série interrogé par les profilers Robert Ressler et John E. Douglas (dont les vies ont inspiré la série Mindhunter), et Stephane Bourgoin lui même.


Comment et par quels processus un cerveau pareil peut il commettre de telles atrocités ? Ce paradoxe surprenant, qui défie les constitutions de l'homme, parvient à ériger le tueur en série comme véritable ogre des temps modernes.



Edmund (Ed) Kemper

Tantôt rongés par la schizophrénie ou d'autres maladies mentales, tantôt grands manipulateurs et/ou dotés d'une intelligence hors-norme, les tueurs en série fascineront donc sans doute toujours autant, dans la "vraie vie" que sur grand écran.


 

Bandes annonces des films et documentaires évoqués et conseillés:

Psycho, d'Alfred Hitchcock (1960) : https://www.youtube.com/watch?v=MhsqXouC1Ws

Le Silence des Agneaux, de Jonathan Demme (1991) : https://www.youtube.com/watch?v=W6Mm8Sbe__o

Seven, de David Fincher (1995) : https://www.youtube.com/watch?v=SpKbZ_3zlb0

Memories of Murder, de Bong Joon-ho (2003) : https://www.youtube.com/watch?v=E4y7W3ON0OI

Zodiac, de David Fincher (2007) : https://www.youtube.com/watch?v=yNncHPl1UXg

MindHunter, de David Fincher -- oui, aussi (2017 - ) : https://www.youtube.com/watch?v=edaQ9XwLiXc

Conversations with a Killer, the Ted Bundy Tapes (2019): https://www.youtube.com/watch?v=n1UJgrNRcvI

 

Merci d'avoir lu ce nouvel article & n'hésite pas à partager tes films de weirdos préférés :)

@louizargentik

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