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Don't (forget to) Smile !!! (Joker, 2019)

Dernière mise à jour : 11 mars 2021

Voici une réaction à (très) chaud d'une avant première riche en émotions. Dans une salle bondée, je suis contrainte de m'assoir seule, tout devant, à la quatrième rangée. Mais lorsque les lumières s'évanouissent, je rentre presque instantanément dans la bulle spatio-temporelle de la ville de Gotham. Les grosses lettres jaunes "JOKER" envahissent brusquement l'écran après une intense scène d'ouverture: place au retour d'un des plus grands méchants de l'univers de la bande dessinée et du cinéma !


*Critique garantie sans spoilers*

"Put on a happy face": quel est le prix à payer pour un sourire à Gotham ?
Présentation d'un anti-héro polymorphe

Super-vilain des comic books D.C Comics, le Joker nourrit toute une thématique depuis sa naissance. Pour ceux qui, comme moi, n'ont pas forcément baigné dans l'univers de D.C Comics depuis l'enfance, j'ai fait quelques recherches sur la genèse de ce personnage.


La figure du Joker est en fait inspirée du personnage de Gwynplaine dans l'Homme qui rit, de Victor Hugo (1869), qui a imaginé un homme défiguré par un sourire permanent. William Finger et Bob Kane, respectivement scénariste et dessinateur de D.C Comics, s'inspirent ainsi de cet état de fou rire éternel pour faire naître le joker en 1939. Comique raté, psychopathe sadique au sens de l'humour déformé, grand manipulateur et tueur de masse, le Joker deviendra un des pires ennemis du fameux Bruce Wayne, aka Batman.


Depuis ses premières apparitions dans les bandes dessinées, le Joker est ensuite venu hanter les grands écrans, tantôt sous les traits du grand Jack Nicholson dans Batman (Tim Burton, 1989), du regretté Health Leger dans The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008), ou encore plus récemment de Jared Leto dans Suicide Squad (2016). Plus que critiquée, cette dernière interprétation d'un Joker modernisé, à base de dents en argent et de cheveux gominés m'avait fortement déplue... (tout comme le film en entier d'ailleurs).


Critique

Je ne vais pas encore tourner autour du pot, c'était une grosse claque. Véritable ovni, ce film n'est pas, comme je m'y attendais, du fan-service destiné à un grand public, ne dépeignant qu'une image lissée de l'histoire de ce fascinant personnage aux multiples facettes. Très sombre et torturé, JOKER s'intéresse en particulier à la construction psychique d'un tel criminel et au basculement vers la violence des marginalisés, se parant d'une photographie, d'une bande son, et d'un acteur exceptionnel.


I. La genèse réaliste de la folie "Joker"


Alors que les bandes dessinées ne traitent quasiment pas de l'enfance et du passé de ce personnage plus qu'atypique, la majorité des précédentes adaptations cinématographiques indiquent au spectateur que la folie et l'apparence singulières du Joker sont dues à un bain toxique accidentel, qui a modifié son apparence en lui blanchissant sa peau et en lui teignant les cheveux en verts.

Dans The Dark Knight, par exemple, le passé du Joker est quasiment inconnu, lui même s'amusant à livrer différentes versions de l'origine de sa cicatrice rouge sang qui lui dévore les deux joues.


Cette fois ci, JOKER privilégie d'avantage l'impact du milieu familial et la marginalité sociale pour tenter d'expliquer l'origine des pulsions meurtrières du personnage.


This is what you get when you cross a mentally ill man

with a society that doesn't care...


Poussé à l'extrême, ce sentiment de solitude et de laissé pour compte rend fou et criminel (à Gotham). Nous pourrions dire qu' Arthur Fleck, alias Happy ou Joker, est une de ces personnalités borderline, instables sur le plan affectif, et ayant de grandes difficultés à maîtriser ses sentiments. D'où ce rire si troublant ou la répétition du mime de son propre suicide. Ce trouble spécifique de la personnalité, étudié par Catherine Blatier dans Les personnalités criminelles, implique de nombreux faits de violence et de criminalité.


Nous pourrions également indiquer que le Joker appartient à la catégorie des "tueurs de masse", puisqu'il tue plusieurs personnes dans un même endroit (scène du métro), avec un mode d'action solitaire.


Mais là ou ça devient vraiment intéressant, c'est lorsque nous entrons dans l'intimité du Joker, dans son petit appartement crasseux ou il vit avec sa mère. Je ne peux pas trop en parler sans spoilers, mais l'étude de la maltraitance des enfants, associée à la pauvreté, au chômage, à une situation d'isolement social, en tant que "facteurs à risques" conduisant à la criminalité y est centrale et très intéressante.



II. Une satire sociale sur le délaissement des marginaux


Joaquin Phoenix dans la peau du Joker

Fiction paradoxalement réaliste, ce film est une véritable satire sociale des germes de la délinquance et de la place des hommes délaissés par la société. Cette nouvelle interprétation de la vie et des origines du Joker est, non seulement plus réaliste, mais bien plus ancrée dans le temps et dans l'histoire de la ville imaginaire de Gotham, qui est, au moment du film, dans un état radical de basculement vers l'anarchisme et la rébellion des minorités. Les jeunes élites privilégiées sont critiquées, les agressions de rue se multiplient, jusqu'à ce que les meurtres, la délinquance et le terrorisme parviennent à terroriser mais également à fasciner.


Cependant, le film réussit à ne pas faire l'éloge de la violence, en ne faisant que l'explorer sous diverses formes (psychologique et physique).


Is it me, or is it just getting crazier out there ?


Si l'on sort de la ville natale de Batman pour observer notre propre monde, on pourrait y observer de nombreuses ressemblances. Par exemple, les internautes anonymes d'Anonymous luttent depuis le début des années 2000 pour préserver la liberté d'expression du web, revendiquant des attaques informatiques médiatisées. Lorsqu'ils manifestent, ils se cachent derrière le masque Guy Fawkes, visage doté d'un large sourire, des joues rosées et une large moustache, conçue pour la série de bande dessinée V pour Vendetta. Tout comme les clowns de Gotham, ils encouragent à la désobéissance civile et parfois à la violence, comme dans les rues de Londres en 2015.

Ci dessus, des membres d'Anonymous en 2012 (Paris) et en 2015 (Million Mask March, Londres), et une photo issue de la bande annonce du film.


III. Un film esthétique et talentueux


Enfin, cette critique/analyse ne serait pas complète sans rendre hommage à la magnifique photographie du film. Les plans de Gotham sont sublimes, mêlant espaces industrialisés et zones délabrées. On se croirait presque à New York, avec ces taxis jaunes et ses plateaux de talk-shows à la Jimmy Fallon, mais pas tout à fait... Puisqu'une grande ligne de tramway scinde la ville en deux à la manière du El de Chicago, et que les différences de dénivelés (sublime scène de danse sur les escaliers) nous font penser à la baie de San Francisco. La palette de couleurs est, quant à elle, riche, lumineuse, presque pop, et ne fait que trop bien contraster avec cet engrenage permanent de tensions.


De plus et pour finir, Joaquin Phoenix (Gladiator, Her, Les frères Sisters), nous livre une interprétation absolument grandiose de cet éternel méchant (peut être une des meilleures), digne de grandes futures récompenses.



 

Merci d'avoir lu ce nouvel article ! :)

@louizargentik


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